15 Mar Contre la suprématie blanche: « La dignité ou la mort »
Par NESRINE TEDJINI-BAÏLICHE
Publié le 15 mars 2021
La neutralité n’existe pas, il s’agit de la subjectivité blanche1. Je pose donc mon cadre d’énonciation. Je ne suis pas blanche, je suis algérienne avec le privilège acquis par la violence coloniale, d’avoir un passeport français. Je n’ai pas fait de grandes études. Déjà au lycée je désertais. J’ai osé m’immerger à 35 ans « dans la gueule du loup » pensant avoir les reins assez solides. Je remercie les nations autochtones de me tolérer sur leurs terres sacrées. — NTB
Me voilà à ma seconde immigration, cette fois avec un visa précaire. Je pensais l’université québécoise plus ouverte que la française, mais j’y découvre une institution blanche et coloniale. Le terrain est abrupt, violent. C’est bien évidemment un terrain de lutte avec des règles bien précises, qu’on ne maitrise pas d’avance. Un jour sur deux, l’envie d’abandonner les études me taraude, car rares sont les enseignant·e·s qui prennent compte du récit de l’opprimé dans le cadre des récits nationaux. Rares sont ceux et celles qui prennent en compte les oppressions raciales dans leur analyse, et rares aussi sont ceux et celles qui gardent leur rigueur scientifique lorsqu’ils pensent d’autres territoires que l’occident. En d’autres termes : la qualité de l’enseignement est majoritairement exclusive.
L’erreur est humaine, ne pas savoir aussi. Cependant, il serait indiqué de laisser la place à la contradiction, la mesure et que tout·e·s soyons soumis·e·s aux mêmes règles et aux mêmes exigences. Pour le pluralisme libéral, on repassera. Les paradigmes blancs occidentaux sont maintenus avec force et se sentent menacés par toute tentative de les relativiser. La violence est donc d’abord épistémologique puis s’y ajoutent les vocables des prétendus « Maîtres ». Pour des jeunes étudiant·e·s blanc·he·s, c’est déjà un environnement stressant avec des obligations de réussite ainsi que des problèmes de sexisme2. Mais pour les non-blancs on peut ajouter un contenu plus stressant du fait d’un solipsisme blanc qui est bien une pathologie de l’humanité blanche et pour les étudiant·e·s étranger·e·s c’est encore plus stressant dans la mesure où ils sont obligé·e·s de suivre les cours avec régularité, sous peine de se retrouver en situation irrégulière. L’éloge de la fuite ne peut s’appliquer qu’avec plus de créativité et de travail.
Maintenant que vous savez d’où je parle, je vais prendre position sur la création d’un « problème de société », d’un prétendu « ennemi intérieur ».
Alors que nous vivons une séquence extraordinairement violente sur plusieurs plans, pour certains d’entre nous, le pouvoir coercitif se déchaine.
J’entends des voix bien réelles s’élever contre des crimes policiers et des mises à mort dans le cadre de soins, des voix s’indignant devant les morts dehors dans le froid et la solitude, les morts en prison3… Ces derniers mois, la mort touchant les autochtones est plus qu’alarmante : c’est l’hécatombe. Les traitements indignes infligés à ces populations dépassent l’entendement4. Les hommes noirs ne sont pas épargnés par les crimes policiers et les musulman·e·s sont méprisé·e·s lors de la commémoration de la fusillade terroriste de la mosquée de Québec, sans parler de la loi 21. Le premier ministre ne reconnait pas formellement l’existence de « l’islamophobie ». Les musulman·e·s sont ici des citoyen·ne·s de seconde zone.
Nous sommes étouffé·e·s par la mort sociale qui plane sur nous : il n’y a qu’à voir les discours disqualifiant les victimes de crimes policiers. Il n’y a qu’à écouter Dany Turcotte tentant de salir Camara Mamadi, victime de violence policière, battu, humilié, emprisonné, traumatisé puis innocenté. N’est-ce pas le salir que de demander si la victime va à nouveau conduire le cellulaire à la main, et justifier le traitement inhumain subi par ce dernier, le tout emballé dans une tentative humoristique?
L’heure est grave! Nous n’entendons pourtant pas Legault défendre les droits humains de Camara Mamadi, son droit à la vie, et à la dignité. Legault nous parle de protéger la « liberté d’expression », la « liberté académique »5, mais qu’en est-il de la liberté d’enseigner de Monsieur Camara Mamadi6 qui est mise en danger par le drame qu’il a subi, les traumatismes psychiques qui en découlent, sans oublier les problèmes administratifs auxquels il doit faire face?
Dans le contexte de la COVID l’assignation à résidence se renforce. En fonction de notre race, de notre classe et de notre genre. Il y a ceux et celles qui charbonnent, mais doivent endurer des couvre-feux et sont plus sujets aux contrôles policiers du fait de profilage racial. Ils et elles sont les travailleur·se·s essentiel·le·s. Leur santé est mise en danger ainsi que celle de leurs proches et ce pour servir le capitalisme racial. Ils sont là pour soigner, laver, nourrir et livrer les plus privilégiés. Cela, inévitablement, les soumet à une surveillance plus soutenue, à une biopolitique et une identification au service de la sécurisation belle et bien coloniale.
Un peu naïve, je pensais fuir le climat français, amusée par l’expression québécoise « Maudits Français! » visant l’arrogance de ces derniers qui prétendent tout savoir. Malheureusement, Legault me fait déchanter. Il nous dit la chose suivante au sujet des luttes d’émancipation : « Ce problème-là est parti de nos universités, et je pense que c’est là qu’on va devoir le régler en premier. La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, est en train de se pencher là-dessus avec les milieux universitaires pour agir rapidement. » Cette déclaration suit de très près celle de Macron d’après qui « le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux »7. Il envoie donc sa ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en croisade.
En pleine gestion politique antisociale de l’épidémie produisant des relations au monde désincarnées, une jeunesse tente de poursuivre une « instruction » reconnue sur le marché du travail, elle essaie d’apercevoir un horizon. Il y a donc des étudiant·e·s et une toute petite minorité non-blanche qui tentent de suivre un enseignement universitaire à distance, dans les meilleures conditions possibles, mais n’acceptent pas de se soumettre à tout et n’importe quoi. Nous évoluons dans une société québécoise ultra libérale où les étudiant·e·s forment une clientèle. Il ne devrait alors y avoir aucun étonnement à ce que le service donné soit discuté. Ce n’est pourtant pas évident pour le grand patron gestionnaire qu’est le premier ministre ni pour sa petite cour. Les étudiant·e·s remettant en cause l’enseignement payé sont considéré·e·s comme censeurs par le pouvoir.
La réalité est toute autre, on subit bien la « cancel culture » des dominants
Legault grand intellectuel et grand progressiste est en pleine croisade. Le premier ministre du Québec instrumentalise la liberté d’expression et académique pour justifier des propos discriminant, excluant et surtout une politique oppressive. L’énonciation de mots, de concepts, les actes de paroles ne renvoient pas à des réalités alternatives, ils peuvent produire et reproduire des réalités politiques. La liberté d’expression n’est pas un concept théorique abstrait, elle s’inscrit dans le réel, dans un espace, dans le temps, dans des rapports sociaux politiques, bien matériels, bien concrets. Legault nous dit, à nous, non-blanc·he·s, de rester à notre place et de ne pas faire de vagues. Étant donné les discriminations limitant notre accès à l’éducation, on devrait dire « merci patron, oui patron, merci de bien vouloir nous tolérer dans ces institutions. »
La réalité sociale, la véritable intimidation est en fait l’inaccessibilité à l’éducation supérieure aux personnes racialisées, et les violences quotidiennes qu’elles y vivent ne sont pas les préoccupations de Legault. Encore faut-il survivre au racisme à l’école de la part du corps enseignant comme des élèves8 pour arriver à ce niveau d’exclusion. Pourtant, d’après le premier ministre, pas de racisme systémique au Québec et il se met à nous parler d’émotions, lesquelles fondent sa politique.
Il nous raconte le sentiment d’intimidation que certain·e·s enseignant·e·s vivraient, mais pas un mot sur les violences que les étudiant·e·s subissent de la part du corps enseignant, de l’administration ou des autres étudiant·e·s blanc·he·s.
Les médias, un autre outil du pouvoir
Legault nous répète ce que nous savons déjà et qui fait les choux gras de la presse : certaines pleurnichent dans des tribunes, racontant qu’après avoir employé des mots racistes « Le stress monte à un point où on n’est plus maitre de soi-même, que c’est vraiment les pires minutes de leur vie. », elles nous parlent de leurs « états d’âme »… Une sacrée belle âme : « Son cœur lui disait de résister. Mais il y avait l’affaire Lieutenant-Duval qui déchainait les passions au Québec. Et puis, il y a eu l’affaire Joyce Echaquan à Joliette. Le contexte était explosif. Évidemment, on a envie de se plier et d’être du côté de la vertu. » nous dit-elle9.
Alors, elle l’a fait. « Elle a plié. ». En tous cas, elle le prétend, mais semble confondre le bien et le bon et oublier que la vertu est du côté de la justice. Par un habile subterfuge, elle devient la victime d’une jeunesse qui ose quitter un cours sur zoom pour lutter contre la mort. Car la race se reproduit et elle tue! Il suffirait pourtant à ces enseignant·e·s de suivre un peu l’actualité pour réaliser la matérialité derrière le mot qui leur est interdit. En réalité, cette enseignante est bien informée, car Joyce Echaquam hante son esprit. Le problème, c’est que la liberté ne s’obtient qu’au prix d’une discipline mentale, travail qu’elle semble peu disposée à effectuer, car il est plus simple de se laisser gouverner par ses émotions lorsqu’on est dans une position de pouvoir.
La position du corps professoral au sein de l’université est importante au Québec, ce dernier est bien rémunéré, les étudiant·e·s ont du mal à se payer une instruction et pèse déjà sur leurs épaules le poids de la dette. La population étudiante n’a finalement pas grande liberté d’expression dans la mesure où le temps et l’espace ne sont pas aménagés à cet effet, sans oublier le pouvoir que confère le jugement et la notion de leurs enseignant·e·s. Quand il y a désaccord, la situation peut devenir écrasante pour une personne non-blanche qui apporte la contradiction. Je vous laisse le soin d’évaluer l’ampleur que peut prendre une attitude irresponsable qui cadre mal les échanges dans un groupe par une enseignante qui n’a pas défini clairement son projet pédagogique en proposant de traiter d’enjeux se rapportant à des problématiques de domination raciale10.
Étrangement, alors que la « subjectivité » et une prétendue « charge émotionnelle » sont les premiers outils de disqualification des étudiant·e·s non-blanc·he·s dans le cadre de leurs travaux11, ce sont majoritairement des enseignantes blanches qui rapportent leur ressenti à la presse et non les étudiant·e·s qui font éclater le scandale. Les médias deviennent un espace propice aux confidences psy, un divan où elles se vautrent pour se noyer dans leur narcissisme. Elles y racontent leurs émotions et les faits sont inexistants, mais pas un mot sur le ressenti de leurs élèves. Elles sont pourtant responsables de leur transmettre des connaissances, de cultiver leur esprit critique et elles ont un pouvoir hiérarchique sur eux. Aucun article ne donne à lire un mot expliquant leur projet pédagogique qui justifierait l’emploi de mots racistes, violents et insultants, et c’est effarant pour des enseignant·e·s! Mais le plus ironique dans tout cela, est que le premier ministre lui-même décide de « cancel » des élèves sur la base d’émotions partagées avec ces femmes fragiles, qu’il faudra protéger! De toute évidence, la compassion n’est possible qu’avec ses semblables (c’est-à-dire d’une certaine race et d’une certaine classe sociale).
La cancel culture, un produit importé?
Cette pratique est née il y a plus de 400 ans aux États-Unis où la culture de la délation est très présente. Je me souviens très bien des affiches « wanted » dans les westerns que nous regardions avec esprit critique. Dans la conquête de l’Ouest, on ne s’embarrassait pas de justice : sans procès, sans défense, on était vite pendu haut et court. L’histoire du Canada est liée à l’histoire des États-Unis. Ce réflexe n’a pas disparu dans le pays, d’ailleurs il appartient aussi à la culture québécoise, car Legault n’a pas manqué d’encourager le « call-out » (la délation) depuis le début de l’épidémie. Robyn Maynard dans Noires sous surveillance : esclavage, répression, violence d’État au Canada nous rappelle que l’État construit et déconstruit les récits à travers les institutions et qu’on se garde de nous apprendre à l’université l’histoire occultée du Canada des populations noires, autochtones, et des populations immigrées. Elle le fait avec statistiques et exemples à l’appui, son travail est scientifique et rigoureux! Au Canada, on vante les mérites de John Graves Simcoe et l’Act Against Slavery, qui mène à l’abolition de l’esclavagisme au Haut-Canada dès 1810. Cependant, il n’a pas libéré les individus mis en situation d’esclavage ni leurs enfants qui devaient attendre l’âge de 25 ans. La libération avait un coût qui devait être acquitté par les propriétaires. On comprendra aisément certaines réticences et les fondements racistes que nous connaissons. Dans l’idée : des individus noirs fraichement « libérés » devenaient de potentiels criminels, car ne possédant rien. Il fallait donc les surveiller. Et on les surveilla, y compris par des citoyen·ne·s ne représentant pas l’ordre public, mais représentant bien un certain ordre colonial racial : c’est la naissance du profilage. C’est ce passé qui ne passe pas! c’est la cancel culture d’État qui condamne les personnes non-blanches sans procès, comme peut en témoigner Monsieur Camara12.
Ce qui inquiète le détendeur du pouvoir exécutif, seraient des « radicaux qui veulent censurer, museler, intimider et brimer notre liberté de parole. » Mais qui seraient-ils?
Mathieu Bock-Côté13 jouit devant le statut Facebook de François Legault qui recommande qu’on le lise et se positionne contre une certaine « gauche woke ». Elle serait partout, y compris dans les universités, mais en réalité, c’est avec #metoo qu’on découvre les « safe space », la « cancel culture » la « wokness », le « call-out ». Ce sont des pratiques militantes d’opprimé·e·s et elles n’ont ni le pouvoir, ni les mêmes effets que celles d’un premier ministre. De plus, cette tendance n’a pas grand-chose à voir avec la gauche blanche où elle ne fait pas consensus pas plus que dans toutes les approches féministes…
Une critique décoloniale de ces pratiques me semble alors pertinente
Aujourd’hui, la « cancel culture » est essentiellement pratiquée dans des milieux non mixtes de personnes « concernées » par des oppressions systémiques. Elles essaient de construire des « safe space », mais les rapports de pouvoir sont partout. Les « cancelled » sont la plupart du temps des opprimé·e·s qui ont pu commettre une faute comportementale, des erreurs d’appréciation ou dire quelque chose d’inapproprié voire des agressions sexuelles ou non.
Une fois ce cadre posé, la pratique s’intensifie. On considère qu’une fois la bêtise prononcée ou un comportement problématique effectué, rien ne pourra l’effacer, l’auteur devient un « problème » à gérer, il est « cancelled ».
Le processus se poursuit, car être problématique est, semble-t-il, contagieux et il faut donc mettre le coupable en quarantaine et il en sera de même pour ceux qui le fréquentent.
Ces pratiques me semblent dangereuses, car elles se font sans prendre en compte le statut politique de la personne « called out ». Les sentiments et émotions ne sont pas, de mon point de vue, questionnables ; ils sont subjectifs et appartiennent à la personne qui les partage. Cependant, des faits rapportés m’apparaissent nécessairement discutables, à évaluer et à contextualiser avant de mener à une quelconque action punitive. L’idée de justice que présente ce cadre est discutable. En effet, ici, les rapports de force politiques sont occultés, on arriverait à faire d’une femme noire un oppresseur si elle a eu un comportement problématique. On confondra les connards avec les opprimés. À la sauce postmoderne, la différence devient indifférente et l’on arrive à produire des relations dépolitisées perdant de vue leur objectif. Les pratiques peuvent être lourdes de conséquences, car on verra s’organiser la mise à mort sociale de la personne jugée non « safe ». La répression s’organisera sans discussion préalable sur ce qui a amené au faux pas, car il faut croire la victime sur parole sans même demander du contexte. Toute interrogation deviendra suspecte et la personne qui interroge sera tout aussi coupable que le « cancelled ». On devient juge, juré et bourreau, sans procès. Et on prend le risque de mettre en place des excommunications arbitraires à l’encontre de personnes en situation déjà très précaire… Par ailleurs, il est difficile de mon point de vue de se réjouir de la punition d’un individu dans le cadre de discriminations globales et je ne suis pas certaine de l’efficacité de ce genre de pratique.
On notera, par ailleurs, qu’on a rarement vu des dominants blancs, riches et coupables souffrir de ce genre d’approche punitive. Un Legault ne devrait pas avoir voix au chapitre, pas plus que les grands professeurs blancs qui devraient remettre en question leurs capacités réflectives et de transmission. En revanche, on ne peut en dire autant pour des personnes non-blanches parfois accusées à tort et dont la vie a été réduite à néant. #metoo nous a même démontré que la pratique pouvait se retourner contre la victime qui « call-out ». Les puissants ayant les moyens d’être proactifs et d’attaquer en diffamation avant même que la victime ait pu mettre en place une procédure légale à l’encontre de l’agresseur présumé.
« La dignité ou la mort »
Cela étant dit, il est inacceptable de confondre ces pratiques (non condamnables, mais discutables) avec des réactions légitimes et saines, des manifestations de dignité bien politiques lorsque des mots produits de la haine raciale sont prononcés par le corps des puissants, celui des « maitres » :
Ma mère est née en 47, on n’est pas noires, mais « sauvages ». Elle m’a inculqué très jeune l’interdit de prononcer le N Word dont elle m’a très simplement expliqué l’histoire et la violence! Elle m’a aussi insufflé assez de dignité pour que je n’accepte pas de subir les qualificatifs racistes « de bougnoule » ou de « sauvage » par les puissants.
Ici au Québec le pouvoir s’attaque à la « gauche woke » là-bas, en France aux « islamogauchistes ». Or il n’y a pas de nouveau phénomène. Refuser l’emploi de ces mots par les détenteurs du pouvoir n’a rien à voir avec de soi-disant nouvelles tendances. L’angélisme blanc feignant la découverte de ces interdits est satanique! Il en va de même pour le terme « sauvage », n’importe quel colonisé en connait la charge et l’outil colonial qu’il représente! On peut à la fois être dans une colère légitime ou s’amuser de l’impudence de Denise Bombardier qui a annoncé renoncer à mener des entrevues lors du Salon du livre de Québec alors qu’elle avait décrit la culture autochtone comme étant « mortifère » et « anti-scientifique ». Elle se permit aussi des insinuations racistes et dangereuses durant le blocus ferroviaire en 2020. Pour elle, les Mohawks, « ce sont les Autochtones les plus tonitruants. Parmi eux se terrent des truands qui imposent leurs lois et affectionnent les armes à feu “spéciales”. Non pas celles qui permettent à tout chasseur de tirer le chevreuil, l’orignal ou l’ours, mais des armes de guerre automatiques. Celles qui se retrouvent dans les mains des militaires, des terroristes et trop souvent des meurtriers de masse. ».
On reconnaitra ici le même champ lexical employé pour parler des musulmans afin de produire une catégorie potentiellement terroriste, « un ennemi intérieur ». Elle considère les réserves comme « lieux inhumains à l’écart de toute civilisation ». Là où le refus de disparaitre par l’assimilation produit des lieux de résistance culturelle dans les réserves québécoises, on retrouve la rhétorique coloniale civilisationnelle bien française qui ne peut tolérer qu’il existe des lieux d’émancipation autonomes, il en va de même pour le contrôle des mosquées en France. En ce qui me concerne, je préfère être une « sauvage », car nous sommes nombreux et nombreuses à savoir l’indignité et l’inhumanité des prétendus « civilisés » civilisateurs dans leurs rapports à l’altérité. La civilisation génocidaire, capitaliste occidentale de Denise semble être aux origines de la fin du monde, pas de quoi s’en vanter! Je m’amuse donc de la mémoire de poisson rouge de Bombardier qui n’a pas pensé une seconde qu’elle devrait assumer ses propos suprémacistes et méprisants. C’est avec une joie décoloniale que j’accueille la victoire politique des résistant·e·s autochtones14, qui ont poussé la journaleuse à se retirer!
En somme, il est vieux comme le monde de dénoncer des constitutions, des lois, des tendances politiques, des idéologies, des médias, des auteurs, des personnes de pouvoir, des organisations politiques, des associations, des institutions moribondes y compris l’État. Les mouvements de luttes dans les universités n’ont rien de nouveau et ont bénéficié à l’enrichissement des savoirs.
Ces luttes impliquent toujours d’écrire, d’organiser collectivement des manifestations, de se mobiliser autour de certaines problématiques en vue de construire un rapport de force favorable aux revendications politiques portées collectivement afin d’abolir les traitements indignes auxquels on essaie de nous soumettre.
Il ne s’agit donc pas de mettre en œuvre une visibilité sauce libérale, ou que sais-je. Nous n’avons pas envie d’être vu·e·s ou aimé·e·s, nous voulons être entendu·e·s, et que nos revendications politiques aboutissent, pour une vie plus juste et meilleure. Alors, à cette jeunesse qui ne peut se rencontrer, débattre, s’énerver, crier, discuter, échanger, mettre en place des réunions, s’organiser collectivement, bloquer des universités, se mettre en grève et peser dans le rapport de force, je souhaite bon courage, bon usage des nouveaux médias et de nos erreurs pour signaler ses désaccords, défendre ses positions politiques et ses revendications pour se construire un monde décent et digne de leur humanité!
Les illustrations sont tirées de l’oeuvre de Forouz Zarei.
NOTES
1. La lecture de l’ouvrage de Noman Ajari, La dignité ou la mort Éthique et politique de la race, Paris, La Découverte, 2019, 324 pages, m’apparait urgente. ↩
2. À l’université les ressources et les informations pédagogiques sont très importantes pour cette domination globale, mais rien pour le racisme.↩
3. Radio-Canada, «La police de Thuder Bay veut exclure des vidéos d’une enquête sur la mort d’autochtones», janvier 2021, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1763170/police-thunder-bay-exclure-images-enquete-mort-deux-autochtones↩
4. Comme en témoignent les articles suivant: https://montreal.ctvnews.ca/elderly-indigenous-man-released-from-quebec-hospital-wearing-only-a-gown-family-says-1.5268536 ; https://www.cbc.ca/news/gopublic/hospital-patient-crawls-out-mental-illness-1.5871307?fbclid=IwAR2hEBU2a_KV1Xu1TFPc9wgucejY5RPP5qAWLgnE4wVzQpFs_KOfb3tYowk ; https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1764155/mort-itinerant-autochtone-raphael-prix-liberte-belanger-chronique ; https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1763599/alerte-naissance-illegale-indiginews ↩
5. Agence QMI, «François Legault s’exprime sur la censure et la liberté d’expression dans le universités», Le journal de Québec, 13 février 2021, https://www.journaldequebec.com/2021/02/13/francois-legault-sexprime-sur-la-censure-et-la-liberte-dexpression et Karim Ouadia, «Un plaidoyer de François Legault contre l’autocensure», Radio-Canada, 13 février 2021, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1770598/legault-autocensure-liberte-expression-intimidation↩
6. Agence QMI, «Accusé à tort d’avoir attaqué un policier: Je suis encore sous le choc», Journal 24h, 15 février 2021, https://www.24heures.ca/2021/02/15/accuse-a-tort-davoir-attaque-un-policier-je-suis-encore-sous-le-choc—mamadi-camara↩
7. Irène Ahmadi,«Macron juge le monde universitaire d’avoir cassé la république en deux», Les inrockuptibles, 11 juin 2020, https://www.lesinrocks.com/2020/06/11/actualite/societe/macron-juge-le-monde-universitaire-coupable-davoir-casse-la-republique-en-deux/↩
8. La presse canadienne, «Une commission scolaire de Montréal est blâmée dans une affaire de racisme à l’école», Radio-Canada, 8 décembre 2020 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1755330/commission-scolaire-marguerite-bourgeoys-blamee-racisme et Mohamed-Amin Kehel, «Allégations de racisme au collège Louis-Riel: des anciens élèves témoignent», Radio-Canada, 7 juillet 2020 et Malorie Sarr, «Vivre le racisme à l’école québécoise», Huffpost Québec, 5 octobre 2016, https://quebec.huffingtonpost.ca/malorie-sarr/vivre-le-racisme-a-l-ecole-quebecoise_b_12357062.html ↩
9. Isabelle Hachey, «Les mots tabous, encore», La presse, 29 janvier 2021, https://plus.lapresse.ca/screens/62416de7-8a8e-4f44-b317-63c99b538ca1__7C___0.html↩
10. Christle Gourdet, «Le N word à l’UQAM», https://www.instagram.com/p/CH-9fQkgX5n/ ↩
11. Témoignages d’étudiants non- blancs : Christopher Curtis, «The other side of cancel culture: Students open up about racial abuse on campus», Ricochet, 17 février 2021, https://ricochet.media/en/3487/the-other-side-of-cancel-culture-students-open-up-about-racial-abuse-on-campus ↩
12. Pour soutenir Mamadi Camara: https://www.gofundme.com/f/supportons-support-mamadi-fara-camara↩
13. Mathieu Bock-Côté, « François Legault contre la gauche woke », Le Journal de Montréal, 13 février 2021, https://www.journaldemontreal.com/2021/02/13/francois-legault-contre-la-gauche-woke↩
14. J’ajoute ce lien pour rendre hommage à quelques militantes autochtones qui luttent depuis longtemps contre les propos racistes de Bombardier: Widia Larivière, « Petit atelier de sensibilisation pour toutes les Denise Bombardier du Québec », Huffpost Québec, 24 avril 2016, https://quebec.huffingtonpost.ca/widia-lariviere/autochtones-premieres-nations-reponse-denise-bombardier-mode-vie-traditionnel_b_9741188.html↩