30 Déc Capitalisme racial, colonialisme de peuplement et génocide en Palestine : une perspective féministe
Par Nahla Abdo
Publié le 30 décembre 2024
Du 27 au 29 septembre 2024 se tenait à Montréal la quatrième Conférence Bandung du Nord sous la thématique « Pour une Internationale décoloniale, les subalternes du Nord parlent ! ». S’inscrivant dans l’esprit de la Conférence de Bandung de 1955, lorsqu’un groupe de pays nouvellement souverains ressent le besoin d’accélérer le processus d’indépendance des colonies restantes, l’événement a pour but d’organiser à l’internationational les mouvements décoloniaux dans les pays du Nord global. Nous publions ici l’intervention de Nahla Abdo dans le panel intitulé « Genres et suprématie blanche : comment combattre le féminisme civilisationnel? ».
À ce stade, sur le plan international, Israël, en tant que colonie de peuplement, mène un génocide contre mon peuple en Palestine ainsi qu’au Liban, où mon peuple vit depuis des centaines d’années. Je ne peux pas m’engager dans quelconques problématiques académiques qui ne sont pas directement liées au contexte du colonialisme racial de peuplement et du génocide. La race, le racisme et la racialisation constituent l’essence du capitalisme. La racialisation accompagne le capitalisme dans toutes ses formes et stades de développement, y compris le colonialisme et l’impérialisme. Par capitalisme, je fais référence au capitalisme industriel ou au système de marché, qui implique la privatisation et la marchandisation du travail et du capital. Au contact avec des formations précapitalistes, le capital vise à transformer ces dernières en source de force de travail et de capital pour son accumulation et son expansion. Le capitalisme ne se limite pas à sa dynamique interne d’exploitation du travail et d’accumulation capitaliste. Le capitalisme racial, qui se développe sous la forme du colonialisme et de l’impérialisme, n’est possible que grâce à l’exploitation raciale des peuples du Sud global ou des formations précapitalistes. En me concentrant sur la Palestine colonisée, cette communication propose une analyse succincte de la dynamique interne et externe du capitalisme racial d’Israël. Cela inclut les politiques et traitements racialisés et racialisant qu’Israël applique à ses citoyens non européens, à savoir les Palestiniens autochtones et les colons juifs non ashkénazes (arabes). Cette communication explore également le colonialisme de peuplement d’Israël en expliquant sa dynamique externe comme un corps politique dépendant des intérêts impérialistes de l’Occident, en particulier de l’impérialisme américain. Offrir cette analyse historique, je le crois, contribue à façonner le féminisme comme une épistémologie consciente de l’histoire en tant que force motrice dans la construction de notre présent et de notre futur. Ainsi, l’importance d’ancrer l’épistémologie féministe dans un contexte anticolonial et anti-impérialiste, une épistémologie qui doit reconnaître le rôle de l’État, en particulier de l’État racial colonial de peuplement.
Introduction
Et c’est ce qui s’est produit. Le gouvernement colonial britannique a imposé une lourde taxation aux paysans et paysannes pour l’enregistrement des terres et le paiement des taxes afférentes. La plupart de la paysannerie vivait traditionnellement de leurs terres en utilisant des modes d’échange traditionnels, comme le troc, sans implication d’argent. Cela a conduit à l’emprisonnement de nombreux paysans et paysannes et à la confiscation des terres de ceux et celles qui étaient incapables de les enregistrer. En 1929, environ 30 % des Palestiniens et Palestiniennes se trouvaient appauvri·e·s et avaient perdu leur unique moyen de subsistance : leurs terres. Plusieurs ont mis leurs terres en gage auprès de propriétaires fonciers, tandis que d’autres les ont simplement abandonnées pour chercher du travail hors de leurs milieux de vie. Ces terres, ainsi qu’une grande partie des terres palestiniennes sous contrôle de l’État, ont été transférées à l’Agence sioniste, facilitant l’installation de colons européens (juifs).
L’accaparement des terres par les sionistes, concentré sur les terrains les plus fertiles, est passé de 903 000 dounams en 1922, soit 13,8 %, à 1 604 800 dounams, soit 24,5 %, en 19412. Selon le Survey of Palestine de 1945, comparativement à la période 1920-1930, où 14 % des terres contrôlées par les sionistes provenaient de l’État colonial, dans la décennie suivante, de 1930 à 1940, 48 % des terres possédées par les sionistes provenaient des « terres publiques » britanniques.
Cependant, le développement capitaliste racial par le sionisme ne s’est pas limité à ce niveau. Entre 1947 et 1948, les gangs sionistes, bien entraînés et armés par les Britanniques et d’autres pays occidentaux, ont intensifié leurs actes terroristes contre les Palestiniens et Palestiniennes autochtones et ont commencé à attaquer ceux et celles qui n’étaient pas armés. Des groupes tels que l’Etzel, Lehi, Stern et l’Irgun ont semé la dévastation parmi les Palestiniens et Palestiniennes en faisant exploser des maisons et des villages et en expulsant 75 % de la population. Ces gangs, en particulier l’Irgun, sont devenus les forces militaires du nouvel État sioniste établi.
De l’expropriation des terres à l’expulsion de la population et à la Nakba de 1948
L’État colonial britannique a permis le transfert de diverses parcelles de territoire à l’organisation sioniste, en partie grâce aux soi-disant « terres publiques » qu’ils ont hérités de l’Empire ottoman. Il est important de se rappeler que bien que certaines de ces terres aient été qualifiées de « terres incultes », une grande partie des parcelles étaient des terres fertiles confisquées aux Fallaheen (paysans) autochtones. Comme je l’ai soutenu ailleurs, la question des « terres publiques » est problématique. Nous devons reconnaître le pouvoir de l’État colonial et sa capacité à dépouiller les colonisé·e·s de leurs biens pour les revendiquer comme « biens publics ». De plus, ce que les Britanniques considéraient comme « terres incultes » comprenait deux catégories de terres : «Mushaa» et «Matruka». Le Mushaa ou terres communes n’étaient pas des terres incultes comme l’affirmait l’État. Les femmes palestiniennes utilisaient ces terres depuis de nombreuses années pour cueillir toutes sortes de plantes sauvages comestibles (comme le za’atar (thym), que l’on trouve quasiment dans chaque petit-déjeuner palestinien ; l’illet (pissenlit) et le khubbaizeh (hibiscus) cuits en plats, la sileq (bette à carde) avec laquelle les femmes travaillaient de nombreuses heures à couper les feuilles et à les remplir de riz et de viande, ainsi que d’autres plantes utilisées comme fines herbes ou pour des fins médicinales telles que la baboonej (camomille), la mairamiyyeh (sauge), la shoumar (anis) et le hasal-ban (romarin). La Matruka désigne des terres cultivables qui ont été laissées au repos après plusieurs saisons de culture. Ce ne sont pas non plus des terres incultes. La perte de ces terres signifiait la perte de sources primaires et secondaires de revenus et de denrées alimentaires pour les Palestiniens et Palestiniennes autochtones.
L’expropriation de la terre et l’expulsion de la population palestinienne a conduit à l’un des mythes largement répandus par les sionistes : « la Palestine est une terre sans peuple pour un peuple sans terre », un mensonge, comme nous l’indique Ilan Pappé.
Le génocide actuel
Le sionisme repose sur l’orientalisation, l’altérisation et la déshumanisation des Palestiniens et Palestiniennes qui, selon lui, « n’existent pas ». La guerre sioniste génocidaire contre la population palestinienne depuis environ un an n’est pas un événement récent. Elle n’a pas commencé le 7 octobre, mais constitue un processus continu visant à éliminer les Palestiniens et Palestiniennes, en partie en en tuant autant qu’ils le peuvent, en partie en les expulsant de leurs maisons, de leurs terres et de leur pays, et en partie en détruisant toutes les structures et infrastructures qui font d’eux et elles une société, un groupe national ou une nation. Nous avons tous et toutes été témoins de la destruction des maisons palestiniennes, des rues, des approvisionnements en eau et en électricité, des hôpitaux, des écoles, des universités, des mosquées et des églises pour rendre la bande de Gaza et, plus tard, la Cisjordanie, en particulier dans le Nord (des villes comme Naplouse, Jénine, Tulkarem et les camps de réfugiés dans cette région), inhabitables : le mantra colonial de peuplement « déplacer et remplacer » !
Ce génocide est prémédité, tout comme l’était la Nakba ou le génocide de 1948. Le ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, avait annoncé un siège complet du territoire palestinien, déclarant : « Il n’y aura ni électricité, ni nourriture, ni carburant – tout sera fermé », ajoutant : « Nous combattons des animaux humains ». Gallant, d’ailleurs, est considéré comme faisant partie de la « gauche » ou de l’opposition et Netanyahu a menacé de le licencier. Cela démontre que l’ensemble des sionistes en Israël soutiennent cette guerre génocidaire.
La relation d’Israël avec le « deep state » des États-Unis s’est exprimée de manière frappante au moment de l’ovation que Netanyahu a reçue pour son discours inhumain, raciste et révoltant, après avoir annoncé qu’il combattait « l’axe du terrorisme » qui menaçait les États-Unis, Israël et le monde arabe, présentant ses politiques de génocide comme un « choc des civilisations contre la barbarie ». D’où sa demande : « Donnez-nous les armes rapidement et nous finirons le travail rapidement ». – Sans aucune honte, il a ouvertement déclaré son intention de génocide et de liquidation des Palestiniens et Palestiniennes. Israël a reçu des bombes de 2 000 livres et les a utilisées contre les réfugié·e·s dans des tentes à Al-Nseirat. Netanyahu n’a pas dit aux Américains qu’il combattait un peuple dans un territoire que son pays occupait, colonisait et avait attaqué avec au moins quatre guerres destructrices.
Pour semer le plus de chaos possible, infliger le plus de torts, effrayer et menacer les Palestiniens et Palestiennes afin qu’ils et elles quittent leurs maisons, Israël a mené des assassinats ciblés sur des corps professionnels spécifiques : près de 1 000 membres de la communauté médicale (médecins, infirmières et autre personnel de la santé) ont été tué·e·s, beaucoup ayant été ciblé·e·s directement ; les 34 hôpitaux ont été bombardés, détruits, évacués et paralysés ; plus de 200 travailleurs et travailleuses de la santé, y compris des médecins, ont été arrêté·e·s, kidnappé·e·s et torturé·e·s en Israël, principalement à la prison de Sdei Taiman. Le Dr Adnan Al-Bursh, un chirurgien orthopédiste palestinien et chef du service d’orthopédie à l’hôpital Al-Shifa, le plus grand établissement médical de la bande de Gaza, a été tué sous la torture. La torture, le viol et le meurtre de captifs palestiniens dans les prisons israéliennes sont monnaie courante. Comme Al-Bursh, de nombreux autres médecins ont également été torturé·e·s et tué·e·s.
Cependant, la politique génocidaire et l’assaut criminel et inhumain calculé contre les enfants, les femmes et les personnes âgées palestiniennes sont restés en vigueur. À ce jour, plus de 60 000 Palestiniens et Palestiniennes, principalement des femmes et des enfants, ont été tué·e·s, et plus de 140 000 ont été mutilé·e·s et blessé·e·s. Ces chiffres représentent une estimation incomplète du ministère palestinien de la Santé dans la bande de Gaza. The Lancet a rapporté que si l’on tient compte de ceux et celles qui sont porté·e·s disparu·e·s sous les décombres, ainsi que ceux et celles qui meurent par manque de médicaments, de soins, de traitements, etc., le nombre de morts devrait dépasser les 186 000 personnes. D’autres rapports parlent de l’assassinat d’environ 10 % des Palestiniens et Palestiniennes à Gaza. Si l’on compare à un pays ayant une grande population, comme les États-Unis, ces 10 % représenteraient environ 35 millions de morts.
Nous ne pouvons pas conclure cette communication sans aborder la Hasbara israélienne ou la machine à fabriquer des mythes sionistes, largement acceptée par l’Occident blanc, y compris par les féministes blanches (ici, la blanchité ne désigne pas la couleur mais la politique). Pour l’instant, il suffit de dire que le livre d’Ilan Pappé de 2017, Ten Myths About Israel [Les dix légendes structurantes d’Israël] a démystifié tous les principaux mythes/fabrications et mensonges d’Israël ou du sionisme. Étant donné que ces mensonges et mythes constituent les bases des guerres expansionnistes d’Israël, y compris cette guerre génocidaire, j’en mentionne quelques-uns ici :
- La Palestine était une terre vide ;
- Les Juifs étaient un peuple sans terre ;
- Le sionisme est le judaïsme ;
- Le sionisme n’est pas le colonialisme ;
- Les Palestiniens ont quitté volontairement leur pays en 1948 ;
- Israël est la seule démocratie au Moyen-Orient ;
- Les mythologies d’Oslo ;
- La mythologie de Gaza ;
- La solution à deux États est la seule voie possible.
En plus de l’expulsion de la population palestinienne lors du génocide de 1948, les sionistes ne se sont pas contentés de s’installer sur les terres autochtones et d’occuper les maisons des Palestiniens et Palestiniennes. Adam Raz a beaucoup écrit sur le pillage des propriétés palestiniennes. Il a introduit son livre intitulé : Loot : How Israel Stole Palestinian Property, avec la déclaration suivante : « Pendant la guerre de 1948, les soldats israéliens et les habitants ont pillé les maisons, magasins, entreprises et fermes palestiniennes. Cette amère vérité a ensuite été supprimée ou oubliée au fil des années qui ont suivies ».
Selon Raz, des dizaines de milliers de personnes ont participé au pillage des propriétés palestiniennes, volant leurs biens… Les implications de ce pillage massif vont bien au-delà de la personnalité ou de la fibre morale de ceux et celles qui y ont pris part. « Le pillage, ajoute Raz, servait un agenda politique en contribuant à vider le pays de ses habitants palestiniens ».
Le public juif est devenu un acteur, motivé à empêcher les habitantes et habitants palestiniens de revenir dans les villages et les villes qu’elles et ils avaient été forcé·e·s de quitter. « Ces gens ordinaires ont été mobilisés dans la poussée pour la ségrégation des Juifs et des Arabes dans les premières années de l’établissement de l’État ». Cet acte sioniste n’était pas un événement isolé, mais plutôt un phénomène continu. Le pillage et le vol des maisons, des entreprises, des artefacts culturels, des musées et surtout des archives et des documents historiques et significatifs palestiniens sont des actes qui ont eu lieu tout au long de l’histoire sioniste, y compris le vol de toutes les archives palestiniennes de l’OLP lors de son invasion du Liban en 1982.
Le pillage et le vol sionistes des archives palestiniennes, des artefacts, des trésors et des documents historiques et culturels ne sont pas nouveaux ; ils font évidemment partie du génocide actuel à Gaza.
La dynamique interne d’Israël : la racialisation des Juifs non européens
J’ai déjà fourni ailleurs une analyse approfondie du régime d’apartheid imposé par l’État racialiste sioniste, qui a commencé par l’imposition d’un régime militaire sur les Palestiniens et Palestiniennes restants après 1948 et leur séparation et isolement les uns des autres jusqu’en 1966. Pendant environ deux décennies, les déplacements des Palestiniens et Palestiniennes étaient restreints et personne ne pouvait quitter son village ou sa ville sans un permis du gouverneur militaire. La séparation et les conditions de vie difficiles ont également été imposées aux nouveaux colons/immigrants venus du monde arabe, en particulier d’Afrique du Nord. Le sionisme capitaliste racial qui visait à « adapter » ces Juifs arabes à leur modèle occidental ou européen, les a privés de leur langue arabe, de leur culture, de leur identité et de leur histoire. Cela a été fait par des moyens coloniaux cruels aperçus dans d’autres régimes coloniaux de peuplement, y compris au Canada. À titre d’exemple, je fais référence à l’enlèvement des enfants yéménites, principalement des bébés, qui ont été vendus à des familles juives occidentales et à l’utilisation de Depo Provera et d’autres produits chimiques pour arrêter les activités reproductives des femmes éthiopiennes. En fait, jusqu’à récemment, les Éthiopiens et Éthiopiennes n’avaient pas le droit de donner leur sang, qui était considéré contaminé. L’histoire de la députée Pnina Tamanu Shata, qui a été empêchée de donner son sang, est un cas bien connu qui amplifie l’évidence du régime colonial racialiste sioniste. Ronit Lentin a beaucoup écrit à ce sujet et a mené une enquête approfondie sur ces affaires sordides, qui ont conduit à l’injection inutile de dizaines de milliers de filles (palestiniennes et juives arabes) avec des produits chimiques destinés à les éliminer ou à freiner la nouvelle génération.
Quant à la dynamique externe d’Israël, il suffit de mentionner ici la relation étroite entre cet État colonial de peuplement et l’impérialisme occidental, en particulier l’impérialisme américain. Le président américain Biden, se déclarant sioniste, n’a pas eu honte de dire que « si Israël n’existait pas, il faudrait l’inventer ». Il n’est donc pas surprenant que l’impérialisme américain ait besoin d’Israël. Le sionisme fait partie de la puissance hégémonique impérialiste de l’Occident et est chargé de protéger les intérêts géopolitiques et économiques de ce dernier dans la région. Créé par la colonisation britannique et soutenu par l’impérialisme américain, l’État sioniste est financé, militarisé et soutenu économiquement, politiquement et par les médias et la propagande, par l’Occident, en particulier les États-Unis. D’où le silence assourdissant de l’Occident face aux atrocités israéliennes contre les Palestiniens et Palestiniennes.
Les actions génocidaires actuelles menées par l’armée israélienne reflètent la nature immorale et contraire à l’éthique de cette force militaire depuis ses origines en tant que groupe terroriste ; nous avons été témoins de la façon dont les soldats israéliens dépouillaient les hommes détenus de leurs vêtements et les montaient nus sur un camion pour les emmener en prison ; c’est l’armée qui torture et viole les femmes et les hommes palestiniens dans les prisons ; c’est le système carcéral qui emprisonne des milliers de Palestiniens et de Palestiniennes sans procès, et ni les détenu·e·s ni leurs avocats ne peuvent connaître l’« accusation secrète ». C’est le cas d’une membre du Conseil législatif palestinien, Khaleda Jarrar, dont les six premiers mois de détention administrative ont été renouvelés pour six mois supplémentaires et qui a été placée dans une cellule minuscule et sans lumière ni air ni nourriture suffisante ni médicaments. C’est un cas parmi tant d’autres. Sans parler des viols, des tortures et des exécutions extrajudiciaires de Palestiniens et de Palestiniennes en prison.
Conclusion
Dans cette communication, j’ai utilisé le cadre du colonialisme de peuplement, de l’apartheid et de l’indigénéité pour expliquer certaines des politiques et pratiques du mouvement sioniste mises en œuvre par l’État d’Israël. J’ai utilisé ce contexte pour décrire les conditions de vie des Palestiniens et Palestiniennes autochtones, leur traitement par le mouvement sioniste colonial de peuplement, et les tentatives répétées d’anéantir la population palestinienne.
Une question importante que je n’ai pas eu le temps d’aborder et que j’espère développer dans un article futur est celle du scholasticide à Gaza : l’acte intentionnel de tuer et de détruire la production de connaissances et ses producteurs, les centres de recherche, les écoles, les universités, les archives historiques et les musées et bien plus encore, souvent accomplis par la force et les assassinats, comme nous l’avons vu tout au long de l’histoire du sionisme.
Ancrer notre épistémologie dans l’histoire et la culture spécifiques d’un État colonial de peuplement aide à voir l’histoire comme un processus et non comme un événement. Ce cadre nous permet de considérer le génocide israélien actuel dans les territoires palestiniens occupés illégalement comme une simple continuation du principe idéologique sur lequel Israël a été établi. Une épistémologie historiquement et culturellement ancrée, surtout si elle reconnaît la relation étroite entre les autochtones, en particulier les femmes, et leur terre/environnement, est capable d’obstruer le discours blanc, orientaliste et raciste ou racialisant dans lequel de nombreux auteur·e·s, y compris des féministes, sont tombé·e·s lorsqu’ils et elles parlent de l’« Autre », principalement des femmes arabes/musulmanes et surtout palestiniennes.
Une épistémologie historiquement et culturellement ancrée est généralement consciente du rôle de l’État, en particulier de l’État colonial de peuplement, qui forme le contexte dans lequel vivent les féministes blanches, mais qu’elles ignorent souvent dans leurs écrits.
Il faut se rappeler que lorsque nous discutons du capitalisme racial, du colonialisme ou de l’impérialisme, nous parlons aussi des régimes d’Amérique du Nord et d’Europe. Après tout, le Nord et l’Occident ont créé le Sud global comme « l’Autre », comme l’inférieur et l’ont sous- développé. Le colonialisme racial et l’impérialisme n’affectent pas uniquement les personnes en dehors de nos frontières. Ils font de nous des « autres », nous immigrants/colons et personnes de couleur, et ils nous racialisent. Comme l’a dit Nadine Naber : « Nous sommes ici parce que vous êtes là ». Il est de la charge morale des féministes, en particulier des féministes blanches, de porter la responsabilité des actes pratiqués par leurs États qui affectent les femmes de couleur dans le ventre de la bête. Il n’est pas nécessaire de rappeler à notre public estimé ici qu’il n’existe pas de théorie féministe unique. La question est de savoir quelle théorie les féministes utilisent.
Une dernière remarque sur la blanchité
Alors que la blanchité caractérise l’ensemble des Européennes et Européens qui se trouvent du mauvais côté de l’histoire et qui prennent le parti de l’impérialisme occidental, ce n’est pas un terme généralisé ou abstrait. Mon expérience de la dernière année suggère que le génocide sioniste en Palestine a galvanisé un nombre relativement important d’activistes et d’intellectuel·le·s afro-américains et autochtones, ainsi qu’un nombre relativement important de Blanches et de Blancs, en particulier de jeunes femmes et de jeunes hommes juifs, qui ont décidé de se tenir du bon côté de l’histoire et de dénoncer publiquement le sionisme. Ces communautés ont compris la réalité de l’État colonial-apartheid sioniste d’Israël, l’ont remis en question et ont refusé son existence continue en tant que tel. Cette solidarité internationale croissante, qui inclut également l’essor de la solidarité parmi les étudiants et étudiantes et le corps professoral, dont beaucoup ont déclaré leur soutien à la Palestine, comme l’organisation Faculty for Palestine à travers le pays, ne fera que croître et devenir plus forte avec le temps.
Communication présentée dans le cadre du Bandung du Nord 2024 à Montréal le 28 septembre dans le la panel intitulé Genres et suprématie blanche : comment combattre le féminisme civilisationnel?.
Les photos ont été prises par Minette Carole Djamen Nganso du Laboratoire d’art et de recherche décoloniaux (LabARD).
NOTES
1. Hope Simpson Report, 1830.
2. Nahla Abdo, « The Development of Capitalism in Palestine: The Expropriation of the Palestinian Direct Producers », Journal of Palestine Studies, vol. 13, no. 4, 1984, p. 98.
4. Survey of Palestine, Vol. II, 1945-1946 [1991, p. 779] ; Ibid.
5. Nhala Abdo, « Feminism, Indigenousness and Settler Colonialism : Oral History, Memory and the Nakba » in Nahla Abdo et Nur Nur Masalha, An Oral History of the Palestinian Nakba, London : Bloomsbury, 2018.