Notre réponse au récent assassinat d’un enseignant français

Par TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS PROGRESSISTES EN ÉDUCATION
Publié le 29 octobre 2020

« Qu’un cours puisse déboucher sur un assassinat est insupportable. »1  Nous vivons, en effet, une époque insupportable. Insupportable par ses extrêmes, dans son isolement et sa haine. Pendant qu’on pleurait Samuel Paty en France, des étudiant·e·s dénonçaient ici l’utilisation du mot en n* par une chargée de cours de l’Université d’Ottawa.2 La semaine suivante, des élèves d’une école secondaire de Montréal-Nord témoignaient publiquement des propos racistes et islamophobes tenus par leur professeur d’histoire.3 Rarement, le contenu des cours prodigués dans les écoles et les universités a été autant discuté dans l’espace public. La classe politique québécoise allant jusqu’à se prononcer sur la légitimité des mesures disciplinaires adoptées par l’université ontarienne.

Pour enseigner la liberté d’expression, Samuel Paty a présenté à ses élèves une caricature de Mahomet. Depuis l’attentat à Charlie Hebdo, les caricatures du prophète sont devenues un symbole de la libre pensée. De notre côté de l’Atlantique, et sans même qu’une tragédie ne serve à le justifier, il semble qu’on souhaite — du moins, si on en croit la presse et l’Assemblée nationale — en faire de même avec le mot en n*.

En tant qu’enseignante, je suis bien entendu secouée par la mort atroce d’un professeur à la sortie de l’école. Et je suis secouée par la détresse des élèves de l’école Henri-Bourrassa qui ont eu à subir les attaques racistes de leur professeur, sans jamais que ce dernier ne soit dérangé par sa direction ou ses collègues. Tandis que l’on discute de la pertinence d’apposer l’étiquette systémique au mot racisme, ces derniers évènements rappellent que l’éducation nationale reste l’instrument des dominants : les mots qui résonnent dans les classes portent en eux le poids de l’idéologie dominante. Si en France, « deuil, recueillement et solidarité » sont rendus impossibles par la récupération abjecte de la tragédie par l’extrême droite, de notre côté, il apparaît clair que nous glissons dangereusement dans la même direction. Lorsqu’on défend les libertés académiques et d’expression, on ne le fait pas dans l’intérêt des professeurs, des élèves ou de l’éducation. On le fait dans l’intérêt de l’hégémonie, au nom de l’idée de nation qui n’a rien d’autre à offrir que la peur et la haine. — VS

Gemma Del'ou, Sobre la Romantización de la Violencia

Le collectif des Travailleuses et Travailleurs Progressistes de l’Éducation offre ses sympathies et ses condoléances aux familles de l’enseignant et de l’adolescent récemment tués à Conflans-Sainte-Honorine en France. En tant que travailleuses et travailleurs de l’éducation qui travaillent étroitement avec les familles de nos élèves, nous croyons que cette tragédie doit nous motiver à entamer une discussion essentielle sur les actes de violence générés par des maux de société qui ont lieu dans nos établissements scolaires, tout en prenant le temps de guérir comme communautés scolaires. Ce cheminement doit s’inscrire dans notre objectif commun de transformer nos écoles en sanctuaires d’apprentissage et d’épanouissement plutôt qu’en lieux de compétition.

Notre rôle comme travailleuses et travailleurs de l’éducation nous demande de travailler de pair avec nos élèves et nos étudiant·e·s selon leurs besoins et leurs habiletés. Dans cette relation, nous tâchons d’évaluer et d’analyser les comportements de nos jeunes en prenant soin de garder en tête les conditions sociales dans lesquelles ils évoluent ainsi que l’état de leur santé mentale. Même lorsqu’une personne commet un crime effroyable, nous tentons de considérer les circonstances dans lesquelles la personne a évolué. Par exemple, malgré une tristesse sans nom suite au meurtre de 6 hommes musulmans dans une mosquée québécoise en janvier 2017, nous avons remarqué que les médias comme le système judiciaire ont souligné avec sensibilité que l’assassin avait évolué dans des circonstances particulières au cours de sa jeunesse, en particulier son passage difficile au secondaire qui avait été marqué par l’intimidation de ses pairs.

Malheureusement, nous constatons avec regret que la même sensibilité n’a pas été offerte pour l’adolescent troublé tué par la police française après qu’il eut tué l’enseignant d’histoire Samuel Paty. Malgré la violence extrême de cette tragédie, nous avons remarqué avec consternation que l’adolescent fut immédiatement identifié comme un terroriste musulman par l’état français comme par la majorité des médias occidentaux, sans prendre en considération l’histoire personnelle ou de l’état d’esprit du jeune homme de 18 ans.

De façon maladroite, l’Assemblée Nationale du Québec a également dénoncé le crime de Conflans-Sainte-Honorine sans jamais prendre le temps de réellement considérer les circonstances entourant la tragédie, dont le fait que l’enseignant avait choisi d’utiliser des caricatures controversées du prophète Mohammed pour enseigner la satire politique dans un contexte social très tendu où les citoyen·ne·s musulman·e·s ici comme ailleurs sont fréquemment victimes de violence politique.

Le collectif des Travailleuses et Travailleurs Progressistes de l’Éducation se désole également que le chroniqueur québécois Normand Baillargeon du Devoir ait publié ceci dans sa chronique du 24 octobre dernier : « D’autant qu’en France, si on en croit un récent ouvrage d’un spécialiste du sujet, « plus des deux tiers des collégiens musulmans déclarent de nos jours préférer obéir à la loi religieuse plutôt qu’à la loi civile. Et seuls 6 % d’entre eux admettent que les espèces vivantes sont le résultat d’une évolution ». Cette citation fut publiée sans source et semble difficilement trouvable sur l’Internet. Il ne s’agit en fait que d’une caricature défavorable de nos élèves et étudiant·e·s musulman·e·s. Nous sommes en colère que le Devoir s’entête à publier une déclaration irresponsable de ce genre sans citation claire.

Le Québec n’est malheureusement pas en reste lorsque vient le temps de faire preuve de discrimination contre ses citoyen·ne·s musulman·e·s , ayant récemment adopté sous bâillon une loi interdisant aux enseignantes musulmanes portant le hijab d’enseigner à l’école publique sauf si celle-ci furent engagées avant mars 2019. De plus en plus de données semblent d’ailleurs soutenir le fait qu’il existe un lien direct entre l’adoption de cette loi et la croissance d’actes de violence contre la population musulmane québécoise, particulièrement contre les femmes portant le foulard. Comme travailleuses et travailleurs de l’éducation, nous sommes de plus témoin des effets délétères de l’islamophobie au sein de nos écoles, particulièrement contre nos collègues et nos élèves musulman·e·s .

Nous croyons qu’il est primordial de se rappeler que l’adolescent troublé ayant commis cette tragédie évoluait dans une atmosphère empreinte de violence raciste et islamophobe, ce qui n’a pu que contribuer à la dégradation de sa santé mentale.

Pour toutes ces raisons, le collectif TTPE croit qu’il est nécessaire de se positionner contre toute violence contre les enseignant·e·s tout en se positionnant aussi fermement contre l’islamophobie. Nous invitons toutes les travailleuses et travailleurs de l’éducation qui partagent notre point de vue à se joindre à nous face à cet enjeu important.

Le groupe des travailleuses et travailleurs progressistes en éducation est un groupe autonome de personnes qui oeuvrent dans le domaine de l’éducation qui souhaite se positionner sur différents enjeux de justice sociale. Le collectif désire faire la promotion d’idées progressistes ayant un impact direct sur les communautés scolaires auxquelles il appartient.

NOTES


 

Tags: