Yann Moulier-Boutang est un écrivain et économiste français. Fondateur des revues Matériaux pour l’intervention, Camarades et Multitudes, il joue un rôle important dans la diffusion de l’opéraïsme en France dans les années 1970: période au cours de laquelle il participe également au développement du mouvement autonome français. Il s’intéresse aujourd’hui, dans une perspective postopéraïste, au capitalisme cognitif et au revenu de base inconditionnel.
Par Yann MOULIER-BOUTANG —
Aujourd’hui, l’intégration dans l’analyse de ce mixte complexe de la classe ouvrière des dimensions de genre, de « couleur » et d’ethnicité, de persistance et de reproduction de mécanisme coloniaux, bref, de toutes les dimensions d’assignation à des minorités subies ou revendiquées, est la forme actuelle que revêt l’impératif d’une recomposition de l’unité d’action, de projet et de partage en commun des multitudes. Il s’agit, en bref, d’une reprise du projet politique d’émancipation et de véritable universalisme décolonisé, y compris en ce qui concerne la question écologique de la domination stupide et dangereuse de la planète.
Contre les perspectives lugubres des collapsologues et du populisme, qu’on peut définir comme une réaction qualunquista de gauche-et-droite à de présumés effondrements des nations, des peuples et des identités, cette horizon ouvre des possibilités pour des politiques alternatives, c’est-à-dire d’inflexion, voire de bifurcation, de la gestion de la transition écologique qui sera sur la table des trente prochaines années.
Par Yann MOULIER-BOUTANG —
L’ensemble des mouvements sociaux et intellectuels qui se sont cristallisés dans le phénomène d’une gauche révolutionnaire ou contestataire renouant avec la tradition des années vingt, n’a-t’il pas su répondre que de façon purement négative au problème posé par la conquête d’espace de transformation? N’a-t-il pas buté, lui aussi, sur l’écueil traditionnel dans les démocraties représentatives d’une alternative piégée basculant d’un réformisme velléitaire et impuissant à un terrorisme hémiplégique et tout aussi inconséquent. Dans un cadre dominé par une forte crise des paradigmes classiques de référence, n’a-t-il pas été atteint aussi, sans parfois bien s’en rendre compte, par une crise de la politique comme catégorie ou domaine délimité? La politisation du social a nourri le gauchisme et la crise de légitimité des démocraties représentatives; mais l’implosion du politique, voire du « social » lui-même, qu’elle contenait en boomerang, associé à la crise du grand modèle « alternatif », c’est-à-dire du socialisme « réalisé » dans ses diverses variantes, n’a-t-elle pas balayé les espoirs d’une organisation politique révolutionnaire alternative ?